The_Missing_Link_CD_N3496_freistellt_Kopie

 

Qu´on ne s´y trompe pas, le « missing link » (chaînon manquant) dont je parle, c´est la viole de gambe, à l´origine un instrument d´improvisation, qui se trouve être capable d´association heureuse avec tous les instruments traditionnels du monde.
Il y a la manifestation, puis l´écriture d´une composition, et surtout son interpréta-tion. Dans les deux cas, pour moi, c´est toujours une affaire d´improvisation.

Pourquoi « world music » ?
Dans la jungle des dénominations commerciales de style, comme il n´existe pas, sur MySpace et autres portails internet, de rubrique « open-minded music », il ne me reste que le terme fourre-tout de « World music », et puisque « ma » musique est « métissée d´influences venant du monde entier », qu´il en soit ainsi. Pas plus que quand j´ai découvert la musique, en commençant à jouer de la viole de gambe, je ne me suis jamais posé la question du style musical, ce qui m´a valu bien des désagré-ments de la part de diverses polices, la police du jazz, la police baroque, la police des producteurs d´art (« cette musique est trop belle pour ce film »), etc., … y aurait-il aussi une police de la world music ?

Ce sont des rencontres avec des « maîtres » plus âgés qui m´ont fait progresser. Martial Solal en 1979 : « vous pouvez faire tout ce que vous voulez, mais il faut savoir l´expliquer ». Ainsi, perpétuel insatisfait, je ne me suis jamais senti à l´aise dans un style, et toujours j´allais trop loin pour mes collègues. Un jour on m´a offert un livre de A.K. Coomaraswamy : La Transformation de la Nature en Art, dans lequel il explique l´art traditionnel, et l´idée que « le style, c´est l´homme, mais ce n´est pas l´essence de l´art».

Un autre « maître », Dr. M. Bernhard, professeur à l´institut de musique de l´académie des sciences de Bavière (ça ronfle, hein ?), m´a ouvert les portes de « sa » bibliothè-que. J´ai, dans la mesure de mes moyens d´autodidacte, étudié la musique médiévale européenne, et derrière évidemment la musique grégorienne. J´ai découvert de véritables trésors. Les références remontent toujours à Platon, en passant par Boèce et Quintilien. Mais comme les informations y sont relativement maigres, en particulier en ce qui concerne l´improvisation, j´ai continué en cherchant du côté des musiques arabes et indiennes.
En effet, les bases traditionnelles de la théorie musicale sont pratiquement les mêmes partout dans le monde. L´enseignement par les livres, c´est bien joli, mais je considère qu´il ne faut pas s´arrêter là, et éprouver ces connaissances à l´aune de la pratique musicale contemporaine mais traditionnelle, quand on peut la trouver. D´où mes recherches et rencontres avec des musiciens d´origines orientales, car malheureusement, la pratique de l´improvisation modale est plus que rare en Occident.

Ce sont donc des rencontres avec des musiciens orientaux, arabes, turcs et indiens, qui m´ont permis de « revitaliser » tous ces modes qu´on appelle « d´église » depuis le bon Grégoire.

La découverte de la viole de gambe en 1993 à l´occasion d´une musique de film, a beaucoup changé ma musique. Pendant 15 ans environ, j´ai cessé de composer avec des accords, pour ne faire que des mélodies, et comme j´aime quand même la musique d´ensemble, ai composé des morceaux avec plusieurs mélodies superposées, comme The City.

La rencontre du vielle à roue-iste Valentin Clastrier a aussi été décisive, où il m´a conseillé d´utiliser les effets électroniques sur la viole de gambe électrique. Ce qui m´a donné une nouvelle piste en me permettant de refaire le lien avec le temps où j´utilisais une guitare ektrique avec écho, réverbération, wah-wah, flanger etc., plus le monde des synthétiseurs et autres samplers.

Dans ma carrière au cours d´enregistrements en studio, il m´est arrivé un jour de devoir rejouer la partie de basse, puis de clavier et de percussions, pour finalement m´apercevoir, le morceau terminé, que mis à part la batterie et le chant, j´avais en fait tout joué. Le petit Mike Oldfield de Nancy était né.

The Missing Link CD Cover Front Back RGB

 

J´utilise toujours un concept particulier pour une composition, comme quand il m´arrive de faire une musique de film. J´ai environ 3 heures de compositions en attente d´enregistrement (Dragon, Tortue, Libellule, Papillon, Funambule…), le titre donnant le sujet.

Dans cet enregistrement, j´ai choisi les compositions les plus « accessibles », renonçant aux rythmes un peu trop composés (9, 6, 5, 11 et 13, dans l´ordre des sus-cités), et utilisé presque tout ce que j´avais à disposition (logiciel Ableton Live), beaucoup de vocoder, car n´ayant pas de viole synthétiseur, je suis « obligé » de faire passer le son de l´instrument par le filtre d´un synthétiseur ou d´un sampler. Et pendant qu´on y est, j´ai même utilisé l´effet de la célèbre pédale wah-wah, pourquoi pas d´ailleurs, disait Frank.

N´étant pas assujetties à des contraintes de temps comme support à des images, mes compositions ne se laissent pas châtrer pour rentrer dans un format « acceptable » par les masses, chaque idée musicale implique son développement, et les morceaux sont relativement longs, sortes de « poèmes symphoniques ».

Pour l´interprétation c´est une autre paire de manches. Trouver les musiciens qui peuvent, qui veulent, qui osent, qui restent. Surtout qui savent improviser, et y rester « modal ». Et après maintenir tout ca. Cet enregistrement reflète mon ensemble idéal, que j´espère pouvoir reproduire en concert le plus tôt possible.

 

The Missing Link CD inside1-trans

Musique :

1) The City - Labyrinth – 4´46
2) The City - Cardo -5´08
3) The City - Decumanus – 4´46
4) The City - Temple – 1´24
5) The City - Garden – 7´02

12/8 - Cette composition est sans accords, 8 mélodies qui s´imbriquent les unes dans les autres, chaque partie étant une porte vers une improvisation. Sont venues s´ajouter 4 autres au cours de l´évolution de la composition, ce qui en fait 12 maintenant, qui fonctionnent deux par deux.

Ce morceau vit de l´improvisation, il était donc difficile d´en capter une interprétation la plus « vivante » possible. De même les 5 parties s´enchaînent sans interruption, mais j´ai mis des index pour les séparer sur le CD.
Sucheta avait simplement entendu le morceau en descendant de l´avion, et y a immédiatement trouvé des points communs avec raga indien Shahana, que je ne connaissais pas, ne cherchant pas particulièrement à faire de la musique indienne pas plus qu´une autre sinon la « mienne ». Pas de problème pour les textes, elle chante les notes (do ré mi, etc., c.à.d. en sanskrit : sa ré ga ma pa dha ni sa).
Probir a rejoué toute sa partie à la fin. Le solo de tabla de la 4ème partie évoque le temple musical de Hampi, une ville presque en ruine du Sud de l´Inde, qui, à part de magnifiques pyramides inversées, offre un temple musical à l´attraction des touristes, rempli de niches à piliers doubles illustrant des intervalles musicaux. Même s´il est interdit de les faire résonner, c´est magnifique. On dit qu´à l´époque (XVe siècle), le roi réunissait des centaines de percussionnistes qui faisaient sonner tous ces piliers, et qu´on pouvait entendre la cérémonie des kilomètres à la ronde. A ma connaissance, personne n´a jamais fait une étude musicale de ce temple.

6) La Bossa De La Inca – 7´17
J´avais rencontré le percussionniste Uli Siebenborn près du tétraèdre de Bottrop (wat is den dat ?), entre Essen et Dortmund. Le quartet que nous avions formé n´a duré que le temps d´enregistrer quelques morceaux qui n´ont jamais été vraiment terminés.

Il en restait une partie de berimbao qui me trottait dans la tête depuis longtemps, et en improvisant dessus au piano, je suis arrivé à cette mélodie très « bossa nova » hispanisante. Bic König joue le guiro, j´ai joué avec elle dans un ensemble de salsa pendant plusieurs années (j´y ai appris à maîtriser les « tumbao », ces lignes de basse qui « tirent » toute la musique derrière elles). Le son de la viole du thème principal pizzicato est doublé via vocoder d´une flute alto. L´arrivée de Gaspare à l´accordéon a évidemment encore transformé cette composition. Probir était quelque peu dubitatif, mais il a accepté d´accorder son tabla en do et joué fidèlement suivant mes instructions.

7) Con Ota - Man in a Cage – 4´04

Introduction à Con Ota, avec un extrait d´une présentation de Kent Hovind qui raconte une histoire pour le moins intéressante. Ou le malheur d´être pris pour un chaînon manquant, le pauvre Ota Benga n´a pas eu de chance, de sa jungle pygmée natale, il a été enlevé et présenté dans une cage avec des chimpanzés à l´exposition universelle de St Louis en 1904. Lisez son histoire sur internet, c´est édifiant.

L´atmosphère de jungle en fond a été enregistrée par mon ami Helmut Kreil dans la jungle équatorienne, mais, vue de Bavière, la jungle pygmée peut tout à fait sonner comme en Amérique du Sud. Peu importe finalement, je trouve que ce passage dégage l´odeur qu´on retrouve dans ces grands halls tristes remplis de prisonniers animaux, autres misérables de nos grandes villes modernes.

Le thème principal en solo à la viole de gambe électrique qui se développe sur toute la tessiture de ce magnifique instrument.

8) Con Ota – 11´33

12/8 - Cette composition en la mineur est assez « ancienne » (chez moi) en fait, originalement pour la guitare (sauf l´ostinato qui est venu plus tard et qui ne sonne vraiment qu´à la viole), le refrain utilise des doigtés « hammer-on » un chouia Jimi Hendrix. En travaillant l´ostinato, je suis retombé sur les accords de Con Alma, de Dizzy Gillespie, ce qui a justifié une courte citation (osant la mélodie chantée par une chanteuse indienne) et le titre.

9) Viole à voile – 5´55

Originairement une partie complémentaire de City (ah flûte, encore un 12/8), j´ai décidé d´en faire une composition séparée, plutôt que de créer des embouteillages dans ma ville. Partant sur les sonorités du Hardanger fiddle (un violon nordique avec des cordes sympathiques), je me suis insensiblement rapproché d´un univers celtique. Ce qui m´a amené à utiliser la sonorité de la cornemuse (j´aurais certes préféré faire venir Valentin Clastrier avec sa vielle à roue, mais mes moyens sont limités). Le petit lutin de la pédale wah-wah est venu gonfler mes voiles au moment où je cherchais un coup de pouce pour larguer les amarres, et oser, sur des accords simples, un petit clin d´oeil celtique à la Frank Zappa. L´océan est en fait la Méditerranée que j´avais enregistrée au Cap d´Agde (au sud de la Bavière), les mouettes sont bretonnes (on reconnaitra l´accent de Pornic), quant à la baleine qui passe au milieu, je l´ai « empruntée » quelque part, mais je ne sais plus où (oups).

Musicians
Sucheta Ganguly, chant
Probir Kumar Mitra, tabla
Gaspare Sepio, claviers sur 1, 2, 3, 5 & 10, accordéon sur 6
Bic König, guiro sur 6
Uli Siebenborn, berimbao sur 6
Gilles Zimmermann, compositions, arrangements, programming, production, mixage,
violes de gambe acoustique & électrique, percussions

Remerciements

Ma fille Aurélie
Tous les musiciens pour leur engagement et support, en particulier Gaspare
Kent Hovind, pour l´utilisation de l´extrait de sa présentation sur l´évolution
Werner Hartwig, luthier constructeur de Michel, ma viole acoustique (basse de viole) modèle Collichon
Ruby Gamba, constructeur de la viole électrique qui s´appelle Charlotte chez moi
Ableton Live - DSK Plug-in Sitar - Helmut Kreil pour la jungle équatorienne.
Herbert Heim, artwork

– Xavier Mignon, photo d´Apollon (Versailles)

Thomas Rebhan photo viole

Harmut Welz pour le support technique, son label art-mode-records et le mastering

AMDG

The Missing Link CD Livret - Fr

 

 

Facebook Twitter Google Plus Linkedin YouTube Vimeo